savoirs et des savoir-faire patrimoniaux et artistiques entre le Maroc et les pays méditerranéens


Dans ma thèse, intitulée Le regard français sur le patrimoine marocain : conservation, restauration et mise en valeur de l’architecture et de l’urbanisme des quatre villes impériales sous le protectorat (1912-1956), j’ai démontré comment la présence française avait instauré la notion de patrimonialisation au Maroc en créant des méthodes permettant la conservation de l’architecture et de l’urbanisme
arabo-musulmans des quatre villes impériales marocaines. Dans cette thèse, j’ai aussi abordé la notion d’échange de savoirs et de savoir-faire patrimoniaux entre la France et le Maroc mais aussi entre les autres colonies françaises de Méditerranée. En effet, les projets mis en place pour la préservation des médinas sont basés sur les lois patrimoniales françaises et tunisiennes créant les nouvelles législations patrimoniales marocaines. Ces dernières, sont, en retour, à l’initiative du renouvellement de la
législation française de 1919 et 1924 mais aussi de celles des colonies françaises en Afrique du Nord et au Proche-Orient. Le Maroc tisse aussi des liens avec le Portugal et l’Espagne lorsqu’il s’agit de restaurer des édifices arabo-musulmans et portugais. Ces rapprochements permettent l’instauration de techniques de restauration communes entre les trois pays ainsi qu’un essor des recherches historiques et artistiques concernant les édifices de ces périodes.
Avec la patrimonialisation du Maroc, se met aussi en place la relève de l’artisanat d’art qui est utilisé pour la restauration des arts décoratifs des monuments historiques marocains mais, il est aussi une des composantes de l’économie marocaine. Des techniques et méthodes, à la fois modernes et ancestrales, permettent donc la relance de l’artisanat d’art marocain. Ces dernières vont être adaptées en Algérie, en Tunisie et dans les mandats français du Proche-Orient dès les années 1930.
Mon objectif de recherche s’attache donc à démontrer que la patrimonialisation du Maroc, engendrée par le Protectorat français, a permis la sauvegarde d’édifices arabo-musulmans, antiques et portugais ainsi que l’échange d’informations sur les méthodes de conservation et de restauration de l’architecture et de l’artisanat d’art avec le Portugal et l’Espagne, l’Algérie, la Tunisie, la Syrie et le Liban. Ces relations ont favorisé un renouvèlement des études et des moyens de sauvegarde du patrimoine aussi bien au Maroc que dans les autres pays méditerranéens.

Enfin le travail des peintres français au Maroc s’intègre, quant à lui, dans un mouvement pictural dont le but est associé à celui des lobbies coloniaux. Ils sont à l'origine de la création de mouvements artistiques marocains tendant vers le renouvellement et la modernité des motifs picturaux.







vendredi 4 novembre 2011

Entre modernité et traditionalisme : la conservation et la restauration des médersas des quatre villes impériales durant le protectorat français au Maroc entre 1912 et 1925.

       Le traité de Fès du 30 mars 1912 instaure le protectorat au Maroc. Il étabit aussi le principe de conservation qui conciste essentiellement à préserver les mœurs et coutumes marocaines et l’intégrité du pouvoir spirituel du sultan. Cependant le commissaire résident général Hubert Lyautey, dès sa nomination le 27 avril 1912, au Maroc étend cette préservation aux principales médinas marocaines car il faut les garder intacte et éviter l’implantation d’architectures européennes dans ces cités. Ainsi les villes impériales[1], Rabat-Salé, Meknès, Fès et Marrakech, sont les premières visées par ces procedures de sauvegarde. Dès la première année du protectorat, il se crée un dispositif administratif et législatif relatif à la conservation des monuments historiques analogue mais plus performant que celui de Tunisie. C’est à travers cette constitution législative et son application par le Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques que se met en place la reconnaissance d’une certaine identité culturelle marocaine. Cependant, celle-ci reste conditionnée à une pensée française, voire européenne, du monument historique qui se résume à une sélection typologique d’édifices représentatifs d’une période historique ou d’un style artistique précis. Ainsi seuls certains monuments marocains sont pris en considération notamment les édifices habous. Les Habous sont une fondation pieuse créée au XIème siècle au Maroc dont le but est d’aider les nécessiteux et de gérer le bien public de la communauté musulmane comme les lieux de culte (mosquées, zaouïat, médersas), les msids (écoles primaires), les hammams, les fontaines, les égouts, les places publiques, les remparts des médinas, les cimetières et les latrines publiques. Les édifices habous sont donc les premiers  bâtiments à être sauvegardés. Parmi ceux-ci, les médersas, lieux de résidence et de culte dédiés aux étudiants musulmans, ont une place à part. En effet, ces édifices, normalement interdits aux « infidèles », ont quand même été très vite protégés et restaurés par les Français.  Pourquoi le Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques a-t-il rapidement conservé les médersas ? Quelles méthodes a-t-il employé pour les conserver ?  Quelles sont-celles utilisées pour les restaurer ?  Le Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques, même s’il instaure les tous dernières procédés français en matière de protection et de restauration du patrimoine bâti, doit toujours s’en remettre à l’autorité des Habous et aux savoir-faire des artisans-décorateurs. La mixité des moyens usités est donc incontestable en ce qui concerne les méthodes employés pour la conservation et la restauration des médersas.

I) La conservation des médersas.
            Le dahir du 26 novembre 1912 met en place la protection des « vestiges du passé qui touche à l’histoire de l’empire marocain ainsi que les choses artistiques qui contribuent à son embellissement[2] ». L’article III du titre I traite particulièrement des monuments marocains :
 « Tous ceux des immeubles classés appartenant au maghzen telles que les ruines de villes anciennes, les forteresses et remparts, les palais de nos prédécesseurs et leurs dépendances.… ainsi que toutes les mosquées, koubba, médersa etc., ayant un caractère habous public, seront inaliénables et imprescriptibles tant qu’ils n’auront pas fait l’objet d’un décret de classement[3]. »
Les immeubles à classer ainsi énumérés appartiennent au maghzen (le gouvernement chérifien soit le sultan lui-même) et aux habous public. Ces édifices sont très importants aux yeux des Marocains car ils symbolisent l’autorité royale et  religieuse.
Le dahir du 26 novembre est complété par celui du 13 février 1914. Ce dernier  instaure les modalités de conservation des monuments historiques, des inscriptions et des objets d’arts et d’antiquité du Maroc et la protection des lieux entourant des monuments, des sites et des sites naturels[4]. Sur les quarante articles qui le constituent, les dix-huit premiers concernent le classement et la préservation des monuments historiques[5].
L’application des deux lois est concrétisée dès le 28 novembre 1912 par la création d’un Service des beaux-arts, antiquités et monuments historiques dont le directeur est Maurice Tranchant de Lunel, architecte et peintre aquarelliste français[6]. Ce service, divisé en trois sections bien spécifiques,  surveille au point de vue esthétique les travaux exécutés au sein des médinas, recherche et conserve les antiquités, les monuments et les objets présentant un caractère historique et artistique et enfin étudie les mesures de défense, de protection et de rénovation de l’art industriel indigène[7].

Les premiers monuments conservés sont les édifices habous comme les remparts, les fontaines et enfin les médersas. Ces dernières sont gérées par un nadir[8]. Cet administrateur nommé par les Habous est placé sous l’autorité du cadi[9] et du sultan lui-même.  Les médersas accueillent les étudiants (tolba) musulmans venant étudier dans la mosquée[10] dont la plus prestigieuse, la Jamaa Karaouine, se trouve à Fès. Les tolba logent et séjournent durant toute leur période de leurs études dans les médersas. Ces dernières sont dispersées sur l’ensemble du territoire marocain notamment dans les grandes villes. Ainsi à Fès, capitale intellectuelle et religieuse du Maroc, neuf médersas sont implantées dans la médina. Mais seulement sept sont en service en 1912. La médersa Misbahia accueille les tolba de la côte atlantique. Les étudiants de la médersa Cherratine viennent du Tafilet. À la médersa Saffarine, les étudiants sont originaires du Souss et du Zerkaïan. Ceux de la médersa Attarine proviennent de Larache, Tetouan et Kébir. Les tolba de la médersa Bou Inania sont originaires du Djeballa. Les médersas de Salé, les deux de Meknès et celle de Marrakech ne sont plus en fonction depuis l’instauration du protectorat. Parce que ces édifices religieux tout comme les mosquées sont interdits aux non-musulmans. Il faut avoir l’accord du nadir et être accompagné par lui pour pouvoir visiter ces bâtiments.
Outre leur caractère religieux, les médersas présentent un aspect historique et artistique indéniable notamment celles localisées à Salé, Fès, Meknès et Marrakech. Ces dernières sont caractéristiques du style architectural et décoratif mérinide (XIIIème-XIVème siècle) et saadien (XVème-XVIème siècle). C’est pour cette dernière raison qu’elles sont classées en tant que monument historique.
Les articles 3 et 4 du dahir du 13 février 1914 indiquent la procédure afin de classer l’ensemble des édifices intéressants pour l’histoire ou l’art.  Si le monument appartient à l’État, il est directement classé par un dahir. C’est le cas pour la médersa Moulay Youssef de Marrakech qui devient un monument historique par le dahir du 28 janvier 1916[11]. Pour les autres bâtiments, la législation prévoit la mise en place d’une enquête de deux mois, prononcée par un arrêté viziriel, avant la promulgation d’un dahir de classement. Les premières médersas classées sont celles de Fès avec le dahir du 4 août 1914[12]. Il faut attendre l’arrêté viziriel du 29 mars 1922 pour que s’ouvre une enquête afin de procéder à un classement de la médersa mérinide de Salé. Enfin, le 17 février 1923, les deux médersas de Meknès, la Bou Inania et la Filala, sont inventoriées. Pour les médersas de Fès, leur dahir de classement est promulgué le 20 février 1915[13]. Celui de la médersa d’Abou al Hassan à Salé est prononcé le 9 septembre 1922[14]. Enfin, le dahir du 31 décembre 1923 ordonne le classement des médersas de Meknès[15].
Afin de se rendre compte de l’état des médersas,  les agents du Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques accompagnés du nadir font une inspection. Celle-ci décrit les nombreuses dégradations de ces édifices comme l’en témoigne l’état des lieux mené par Maurice Tranchant de Lunel, en juillet 1915, dans toutes les médersas fassias.
« Or, presque toutes les toitures des médersas étaient effondrées, les plafonds sculptés en majeure partie attaqués et pourris, comme à Saharidj et Mesbahïa. Ceux de la Bou Ananya, d’Attarine et de Cherratine tenaient encore, par un reste d’habitude. (…) Il fallut enlever les toitures avec mille précautions, remonter les plafonds sculptés, reprendre les murs dévastés par les infiltrations et lézardés, replacer le tout en utilisant tous les matériaux anciens qui n’avaient pas trop souffert et les tuiles vertes anciennes aux tons délicats. Le bord des toitures s’appuyait sur des corniches de bois de cèdre sculpté, reposant sur des consoles de même matière fort ouvragées[16]. »

II)  La restauration des médersas.
            L’inspection des lieux réalisée, il en résulte l’instauration d’une procédure de restauration des édifices endommagés. Dans un premier temps, les architectes du Service des antiquités, beaux-arts et monuments  historiques, font les relevés des plans des médersas. À Fès, les architectes Léon Dumas et Marcel Rougemont sont chargés de ce travail. Les plans des médersas présentent de nombreuses similitudes. De forme plus ou moins rectangulaire, le l’édifice s’organise autour d’un patio dallé de marbre et où trône en son centre une vasque d’eau voire un bassin. Cette installation sert pour les petites ablutions[17]. La cour est généralement prolongée par un oratoire dont le mihrab, niche qui indique la direction de la Mecque, est souvent placé dans l’axe de la porte d’entrée. Les chambres des étudiants sont dispersées parfois le long des corridors mais surtout au premier étage. À l’origine, les médersas étaient à la fois des centres d’étude et des internats pour les tolba. Cependant avec la diminution des revenus habous au XIXème siècle, ces monuments ont cessé d’être des écoles et servent uniquement de logment aux étudiants[18].
Les relevés des architectes sont accompagnés de photographies. Ainsi les  médersas de Fès sont photographiées par un agent du Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques, Jean Rhoné. Les clichés sont réalisés entre mai 1915 et  juillet 1915. Ce sont des vues stéréoscopiques[19]. Les états des lieux, les plans et les photographies permettent de mettre en place les préparatifs de restaurations qui se concrétisent par l’instauration de devis.
D’après les photographies prises en 1915, les dégradations sont importantes dans les médersas de Fès. Les murs du patio de la médersa Es Sahrij sont délabrés. La moitié du revêtement à la chaux a disparu laissant apparaître les briques de construction. Les décors en plâtre et sur bois sont aussi quelques peu dégradés. La porte d’entrée en cèdre sculpté se disloque. Le dallage de la cour a aussi souffert. La cour de la médersa Bou Inania est encore plus abîmée. Il en est de même pour la médersa Al Attarine. La plus grande partie de sa décoration en plâtre et en zelliges a disparu. À la médersa Cherratine, les décorations et le dallage sont usés. Le petit minaret qui la surmonte s’effrite. Mais il reste encore assez d’ornementation dans ces médersas pour se faire une idée de l’ensemble.
« Toute la partie basse de la cour où l’eau doit pouvoir ruisseler librement se montre à nos yeux comme la grande vasque d’un bassin aux revêtements de céramiques. Mais à mesure que le regard monte, il rencontre des matériaux de plus en plus légers, des ornements de plus en plus délicats. Au-dessus des zelliges chatoyants et lisses rayonnent toute une floraison de plâtre, de plâtre amenuisé, travaillé, fouillé, aussi souple qu’une dentelle et rappelant les délicieuses fantaisies de ce grand artiste qu’est le givre. Après le plâtre, le regard, montant toujours, rencontre le bois ; le bois de cèdre aux teintes chaudes des corniches avancées et des corbeaux aux fines sculptures. Enfin, plus haut, plus haut encore, de folles avoines courent sur les tuiles vernissées, s’échevelant en fils d’or dans l’azur ardent du ciel[20]. »
Les photographies réalisées en 1917 par Pierre Dieulefils montrent les premiers travaux effectués à la médersa Al Attarine. Les charpentes des toitures ont été déposées au sud-ouest de la cour, à proximité de la vasque centrale. De l’autre côté, des tuiles neuves sont entassées contre le mur. Sur une deuxième photographie, la façade abîmée de l’oratoire de la médersa apparaît. Trois ouvriers ou tolba, dont deux assis sur la vasque, sont entourés de part et d’autre par un empilement de tuiles neuves et par un tas de sable pour réaliser le mortier.  Le 25 juillet 1915, Maurice Tranchant de Lunel a effectué un devis et un descriptif des réfections de la koubba de l’oratoire et des toitures du patio. Le 7 mars 1917, l’architecte Marcel Rougemont est chargé de s’occuper et de surveiller les restaurations de la médersa Al Attarine[21]. Ce même travail est donné à Léon Dumas, en avril 1917, pour les médersas fassias Es Sahrij, Misbahia et Bou Inania. Les restaurations consistent notamment à consolider les murs porteurs, les coupoles ou parfois de les détruire et les reconstruire totalement. L’emploi du béton est systématique dans ce genre d’opération. Ce matériau étant plus maléable et solide que le mortier local.  En ce qui concerne les toitures abîmées, les ouvriers marocains otent toutes les tuiles, démolissent la chape qui les fait tenir et enlèvent les bois des charpentes. Les poutres pourries sont remplacées par des tirants de barres de fer rondes avec ancrage. L’emploi du métal permet de renforcer l’ossature et de supporter une traction beaucoup plus forte que le bois. Quand la charpente est remise en place, elle est recouverte du voligeage de la chape où sont placées les vieilles et nouvelles tuiles[22].

            La remise à neuf de la décoration est exécutée par des artisans locaux. Ils sont recrutés par le Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques afin de réaliser de nouvelles pièces analogues aux anciennes. Pour cela, il a été instauré des ateliers spéciaux ou l’art ornemental almohade, mérinide et saadien est réappris aux ouvriers marocains à partir des modèles conservés dans les musées créés à Rabat, à Fès et à Marrakech.
Entre 1917 et 1918, les murs latéraux de la cour de la médersa Al Attarine sont dépouillés de leurs plâtres ouvragés, zelliges et bois sculptés. Les murs sont démolis au niveau supérieur ainsi que les piliers qui scandent les façades. Ils sont reconstruits en brique puis recouverts de chaux grasse. À partir de là, les ouvriers marocains entament la réfection des décors[23]. Les zelliges des piliers et des murs de la cour sont refaits. Trois types de mosaïques sont utilisés : le damier régulier sur les piliers et les parois de la salle en face de la porte principale, l’étoile à douze pointes dans un hexagone sur les lambris des façades d’entrée, de gauche et de droite, et la résille dans l’oratoire[24]. La forme du damier est obtenue par le recoupement de deux réseaux de carrés formant les cases qui sont colorées en bleu, violet, vert, noir, rouge et séparées par une petite bande de céramique blanche. La restauration des zelliges s’effectue en plusieurs étapes. La première consiste à les fabriquer. Les motifs sont dessinés sur des plaques d’émail de couleurs différentes d’après un modèle de papier. Ils sont ensuite découpés avec l’aide d’un marteau à bout plat. Chaque tesselle de même couleur est placée dans un petit sac. Un moule de bois ou en métal représentant un damier de 48 cases est réalisé. Les tesselles sont ensuite placées, l’émail contre le sol, sur l’ensemble de ce panneau reproduisant les anciens modèles. Un mortier est ensuite coulé afin de maintenir le damier en un seul bloc. Le pilier est ensuite badigeonné lui-même de mortier sur lequel est plaqué le panneau de zelliges créé précédemment. Toutes ces opérations sont réalisées dans la cour de la médersa.
Entre les zelliges et les frises de bois placées en dessous des toitures, les murs sont recouverts de sculptures en plâtre. Ce dernier est étalé en une couche épaisse de quelques centimètres seulement. Le rendu en relief du décor en arabesques nécessite un travail d’affouillement dont la profondeur atteint parfois cinq centimètres[25]. Les consoles et les frises en bois de la partie supérieure du mur sont ensuite remises en place. Les anciennes, encore en bon état, sont réutilisées tandis que les autres sont remplacées par des nouvelles dont la couleur et le style de sculpture sont copiés d’après les originales. Comme pour le plâtre, le bois n’est taillé qu’à faible profondeur. Les éléments d’arabesques sont réalisés en relief. Les motifs sont d’ordre floral comme le cinq-feuilles sur les linteaux et la palme asymétrique à calice sur les encadrements des arcs des façades[26].
Le principe de restauration est toujours identique dans son déroulement. Les murs porteurs sont consolidés ou refaits ainsi que les toits et les coupoles. La décoration architecturale suit ensuite. Les façades des cours sont les plus remaniées avec la réfection des zelliges, des stucs, des bois gravés et des marbres. Les oratoires sont rénovés ensuite. Les pièces secondaires sont restituées dans leur état d’origine en dernier. Ces règles s’appliquent à toutes les médersas du Maroc. Le plus souvent, le décor est seulement reconstruit. C’est le cas de la médersa Bou Inania, à Meknès.
Contrairement aux autres médersas, celle de Salé a été totalement remaniée entre 1921 et 1924. La toiture de la salle de prière ainsi que le mur de la face ouest sont démolis. Ils sont ensuite entièrement reconstruits. Les travaux de sous-œuvre du mur de la façade nord permettent de la renforcer. La consolidation de la médersa est poursuivie entre 1922 et 1924 tandis que des boiseries sculptées destinées à la corniche du patio sont confectionnées [27].
La critique concernant ces restaurations est assez positive. Cependant certains auteurs et scientifiques comme Charles Terrasse les considère trop lourdes. Cette remarque touche plus particulièrement la médersa de Salé. Aucun espace témoin n’a été sauvegardé afin de rendre compte de l’état antérieur.


            La médersa est un monument religieux qui est interdit au non-musulman au Maroc. elle est  À partir de 1915, les médersas, avec l’autorisation des nadirs, s’ouvrent aux agents du Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques afin de procéder à leur classement et à leur  rénovation car elles sont en mauvais état. Cette restauration s’effectue avec des techniques françaises afin de consolider les murs porteurs et les toitures. Les techniques traditionnelles sont uniquement utilisées afin de refaire à l’identique le décor architectural de ces édifices. Ainsi la restauration des monuments habous favorise le renouveau et l’essor de l’artisanat artistique local. La mixité des méthodes marocaines et européennes est une action constante qui perdure dans la restauration des monuments historiques jusqu’en 1956.



[1] Le sultan est un souverain itinérant, il n’a pas de capitale proprement dite. Selon les saisons et les conditions politiques, il séjourne dans quatre villes principales qui possèdent un palais. Meknès est surtout le lieu où résident les concubines délaissées par le sultan.
[2] Dahir du 26 novembre 1912 concernant la protection des arts et des monuments historiques, Bulletin officiel du Maroc, n°5, 29 novembre 1912, p.25-26.
[3] Ibid.
[4] La notion de conservation des sites naturels est présente en France dès la parution de la loi de 1906 relatif à ce fait. Lyautey effectue une symbiose des différentes lois les plus novatrices.
[5]  Il n’y a pas de différence de traitement entre les édifices antiques et arabo-mauresques.
[6] « Arrêté du délégué de la résidence générale », Bulletin officiel du Maroc, n°5, 29 novembre 1912, p. 25-26.
[7] [Anonyme], 1912-1922, La renaissance du Maroc, dix ans de protectorat, Édition de la Résidence générale de la République française au Maroc, Rabat, 1922, 495p.,  p. 417 et 418.
[8] Le nadir gère en autre les mosquées et les zaouïat (sanctuaires). Les Habous nomment un nadir par ville.
[9] Le cadi est un juge qui  remplit des fonctions civiles, religieuses et judiciaires (juge de paix). Il s’occupe notamment des cas de mariage, de divorce, d’héritage. Il joue dans ce cas le rôle d’un notaire.
[10] Les mosquées du vendredi sont les lieux où l’on enseigne car elles contiennent une chaire à prêcher, le minbar.
[11] « Dahir du 28 janvier 1916 classant comme monument historique la médersa Moulay Youssef à Marrakech » Bulletin officiel du Maroc, n° 167, 3 janvier 1916, p. 12
[12] « Arrêté viziriel du 4 août 1914 concernant l’enquête de classement des médersas de Fès », Bulletin officiel du Maroc, n° 102, 5 octobre 1914, p. 773. 
[13] « Dahir du 20 février 1915 portant classement comme monument historique des Médersas de Fès », Bulletin officiel du Maroc, n°  123, 1 mars 1915, p.  92 à 93.
[14] « Dahir du 9 septembre 1922 portant classement, comme monument historique, de la médersa mérinide de Salé », Bulletin officiel du Maroc, n° 517, 19 septembre 1922, p. 1411.
[15] « Dahir du 31 décembre 1923 portant  classement de divers monuments historiques dans la médina de Meknès », Bulletin officiel du Maroc, n°586, 15 janvier 1924, p. 47.
[16] Tranchant de Lunel, Maurice, Ibid, p. 197-198.
[17] Il existe deux sortes d’ablutions, le Wudû (ablutions mineures) et le Ghusl (ablutions majeures). La première se fait avant la prière mais elle consiste à se laver les mains, le visage et tous ses orifices, les bras, la tête, la nuque et les pieds. Dans une médersa ou une mosquée, le Wudû est réalisé aux abords des fontaines ou bassin des cours. Le Ghusl est uniquement pratiqué après un acte sexuel. Il s’agit de se laver entièrement avant de faire la prière. Cette ablution se fait dans les latrines de la mosquée ou de la médersa.
[18]Note au sujet de l’administration des Habous et des biens affectés à l’ensemble de la communauté musulmane, 18 mai 1950, CAOM, fonds privés de Joseph Luccioni, 52 APOM 2, Activités des Habous.
[19] Correspondance de Jean Rhoné avec Joseph de la Nézière,  Archives privées de M. Bernard de la Nézière.
[20] Tranchant de Lunel, Maurice, Ibid., p. 188.
[21] Arrêté du chef du Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques nommant M. Rougemont Marcel, architecte du Service des beaux-arts, comme régisseur-comptable des avances qui seront nécessaires pour l’exécution des travaux de restauration de la médersa Al Attarine à Fès, 7 mars 1917, ABNRM, carton F 102.
[22] Devis estimatif et descriptif des travaux de réfections de la koubba et des noubas de la médersa Al Attarine à Fès, 25 juillet 1915,  ABNRM, carton F 102.
[23] Devis estimatif et descriptif des travaux à exécuter à la médersa Al Attarine à Fès, 17 janvier 1917 et Devis estimatif et descriptif des travaux à exécuter à la médersa Al Attarine,  7 février 1918, ABNRM, carton F 102 
[24] Gérard, Degeorge Yves, Porter, L’art de la céramique dans l’architecture musulmane, Paris, Flammarion, 2001, 292p.,  p. 68.
[25] Jean, Gallotti, Ibid., p. 68.
[26] Catherine, Cambazard-Amahan, Le décor sur bois dans l’architecture de Fès, époques almoravide, almohade et début mérinide, Paris, Éditions du CNRS, 1989, 240p., p. 202.
[27] Direction générale de l’Instruction publique des beaux-arts et des antiquités, Service des beaux-arts et des monuments historiques, historiques 1912-1930, Édition de l’exposition coloniale de Paris,  Paris, 1931, 74p., p.22-29.

Marrakech, la rouge


            Derrière ses remparts crénelés ocre rouge, se dresse la médina de Marrakech. Une zone non-aedificandi et une route l’entourant, la séparent de la ville nouvelle, le Guéliz, construit à partir de 1913.
Des édifices coloniaux de deux étages et s’harmonisant avec le style architectural de la médina, il n’en reste que quelques exemplaires vers la Koutoubia. La ville moderne impose ses bâtiments à plusieurs niveaux d’un modèle trop occidental. Ville de villégiature depu is 1920, Marrakech a vu se multiplier les touristes chaque année. Les prix ont subi aussi la même inflation. Les appartements se louent à quelques millions de dirhams. Ils sont trop coûteux pour des marocains dont le salaire moyen est de trois cent cinquante euros. Pour atteindre la médina, il faut remonter l’avenue Mohamed V. Il conduit à au minaret de la Koutoubia, symbole d’un pouvoir royal et religieux toujours en place depuis douze siècles. L’ancienne capitale almohade a encore gardé ses vestiges. La place Jemaa el Fna, classée depuis peu au patrimoine mondial immatériel par l’Unesco, en est la preuve vivante. Elle s’éveille dès 17h. Mais déjà en journée, des vendeurs d’eau en habit rouge, les singes et les serpents du désert sont présents afin d’appâter les badauds toujours curieux de spectacles captivants. Cette place permet d’entrer par la gauche vers les souks où s’échelonnent toutes sortes de boutiques offrant leurs richesses aux yeux des futurs acheteurs. Chaque corps de métier est rassemblé par coopérative et occupe un espace bien défini depuis des siècles. Ainsi, on avance au travers les étales des artisans du tissu puis dans ceux des potiers. Le quartier des tanneurs et des forgerons se jouxtent. Ces métiers étant salissants, ils sont donc plus éloignés du centre. Le marché aux légumes se situe entre le souk et la place Jemaa el Fna. Les femmes berbères y viennent faire leurs achats. On palabre beaucoup afin d’économiser quelques piécettes pour acquérir une parure argentée, bracelet ou main de fatma, dont la devanture de la toute proche bijouterie offre à leur vue. Cela fait bien longtemps que les fellahs n’investissent plus les fondouks. La motorisation a tué cet entrepôt-hôtel où les hommes et les bêtes de somme s’entassaient avant la nuit afin de vendre leurs produits le lendemain dans la médina. Ces fondouks tombent en ruine, quelques-uns sont restaurés. On y voit les gravas au rez-de-chaussée tandis qu’une balance à peser la marchandise pend encore entre deux poutres en bois. En haut, les chambres du premier étage procuraient le calme pour le repos ou le délice d’une nuit dans les bras des prostituées.

En contournant la place Jemaa el Fna par la droite, suivant la route qui longe les remparts, une porte, Bab Agneou, ouvragée de festons, ouvre un espace vers les tombeaux Saadiens. L’édifice renferme les mausolées et les stèles des souverains et des nobles de la dynastie marocaine des Saadiens (XIV°-XVI° siècles). Le long de la rue qui s’enfonce dans la médina, des passants s’agglutinent aux abords des pâtisseries où bourdonnent des essaims d’abeilles attirées par le miel dégoulinant des gâteaux. Durant la période de ramadan, les Marocains doivent attendre la tombée de la nuit pour déguster ces douceurs culinaires. Ici, la route est encombrée de vélo, de mobylettes et d’autos. Le code de la route se fait au klaxon. Chacun doit faire son propre chemin pour pouvoir avancer. Le bruit de la circulation s’estompe quand on s’introduit dans la cour des riads ou des palais avoisinants. Les patios clair-obscur offrent la tranquillité et la fraîcheur ombragée de la végétation des jardins intérieurs.

Certains de ces riads sont devenus des restaurants. Les palais des anciens sultans ou des caïds se sont changés en musées. Les patios se sont alors couverts d’une toiture et d’un plafond de bois peint dans le style local. Il n’y a plus que l’eau des vasques ruisselant sur le zellige pour se souvenir qu’ils étaient ouverts sur le ciel de l’Atlas.