Les Habous
sont une fondation pieuse créée au XIème siècle au Maroc dont le but est
d’aider les nécessiteux et de gérer le bien public de la communauté musulmane
notamment les édifices publics d’intérêt général comme les lieux de culte
(mosquées, zaouïat, médersas), les msids (écoles primaires), les hammams, les
fontaines, les égouts, les places publiques, les remparts des médinas, les
cimetières et les latrines publiques. Afin d’entretenir ces différents
bâtiments, les Habous reçoivent des dons soit de particuliers soit du Maghzen
lui-même. Cependant les Habous ont aussi le droit d’acquérir des terrains
agricoles et des immeubles de rapport tels que des commerces, des fondouks et
des habitations dans les médinas. L’ensemble de ces biens est loué à des
particuliers. Ainsi, les Habous perçoivent des dons en espèce mais aussi les
loyers de leurs différentes propriétés. Le patrimoine habous est très étendu
dans l’ensemble du Royaume chérifien. Dans les quatre médinas les plus
importantes du pays, Rabat, Fès, Meknès et Marrakech, plus de la moitié des
immeubles de rapport et des terrains agricoles
leur appartiennent. Les biens habous sont
inaliénables et imprescriptibles.
Depuis le XIème siècle, cette
fondation s’est pérennisée au Maroc, bien qu’elle se soit modifiée avec
l’instauration du Protectorat français. En effet, son organisation mais aussi
la pratique de l’entretien des biens publics ont été bouleversés. Si jusqu’en
1912, toute la gestion des édifices publics relevait des Habous, rapidement,
l’ingérence de la municipalité et du Service des antiquités, beaux-arts et
monuments historiques change la donne. Mais comment ces modifications s’opèrent-t-elles ?
Ces transformations aboutiront-elles à la remise en cause des Habous? L’étude
de la gestion et de la pratique administrative habous des édifices publics,
avant puis pendant le protectorat, permettra de mettre en relief les ruptures
et les continuités entre ces deux périodes. En effet, si le protectorat inaugure une
modification administrative importante, celle-ci ne rompt pas avec l’héritage
du pays.
I) Les Habous, seuls
gestionnaires des édifices publics des médinas marocaines.
Afin
d’administrer les édifices publics, les Habous, depuis le XVIII° siècle, nomment
un nadir par ville.
Cet administrateur,
qui est placé sous l’autorité du cadi
et du
Sultan lui-même, a la gestion de tous les édifices cultuels comme les mosquées,
les zaouïat et les médersas. En ce qui concerne les mosquées, les nadirs
doivent veiller pour que les bâtiments ne se détériorent pas, que les salles de
prière soient pourvues d’assez de nattes pour les croyants, que les latrines
attenantes aux bâtiments et les fontaines d’ablutions fonctionnent bien et
soient propres. Si ces édifices sont en mauvais état, le nadir est chargé de
trouver et d’employer des maçons et des charpentiers pour la réparation des
toits et des murs. En ce qui concerne les décors architecturaux intérieurs, il
fait appel aux divers artisans fassis spécialisés dans l’art du plâtre ouvragé,
du zellige et de la sculpture sur bois. Ces mêmes dispositions sont réalisées
pour les réfections
ornementales des
cours intérieures
des zaouïat
et médersas.
Le principal entretien consiste à
réparer les toitures, les décors de plâtre, le bois des linteaux et à remplacer
les zelliges des piliers. Ce travail s’effectue en plusieurs étapes.
La première consiste à fabriquer de nouvelles
mosaïques en céramique (zelliges). Les motifs sont dessinés sur des plaques
d’émail de couleurs différentes d’après un modèle de papier. Ils sont ensuite
découpés avec l’aide d’un marteau à bout plat. Chaque tesselle de même couleur est
placée dans un petit sac. Un moule de bois ou en métal représentant un damier
de quarante-huit cases est réalisé. Les tesselles sont ensuite placées, l’émail
contre le sol, sur l’ensemble de ce panneau suivant les anciens modèles. Un
mortier est ensuite coulé afin de maintenir le damier en un seul bloc. Le
pilier est alors badigeonné de cette préparation sur laquelle est plaqué le
panneau de zelliges créé précédemment
.
Pour la réfection du plâtre, l’artisan enlève
la partie dégradée et la recouvre d’une couche épaisse de plâtre frais. Après
ce badigeonnage, le sculpteur dessine les motifs en ôtant de la matière. Cette
opération permet de donner du relief à la matière. Le bois des linteaux est
traité de la même manière que le plâtre, il est taillé à faille profondeur.
Les motifs réalisés sont identiques aux
modèles originaux. Sur les linteaux des médersas mérinides, ils sont d’ordre
floral comme le cinq-feuilles et la palme asymétrique à calice sur les
encadrements des arcs des façades
.
Outre
la gestion des édifices du culte, le nadir est aussi chargé de recruter du
personnel pour entretenir les remparts et les portes d’entrées des médinas, les
fontaines et les abreuvoirs. En ce qui concerne le nettoyage des égouts, ce
sont les moqqadems
de quartier qui doivent
faire exécuter les travaux. Le curage est payé par les habitants des immeubles
desservis par ces égouts. Le nadir veille aussi à ce que l’alimentation en eau
potable des villes se fasse dans les meilleures conditions possible puisque
l’ensemble des sources qui fournissent l’eau appartiennent aux Habous
.
Les nadirs jouent donc un rôle
primordial puisqu’ils doivent assurer le bon fonctionnement des biens publics.
Cependant leur rôle est de plus en plus décrié au début du XX° siècle et
notamment juste après l’instauration du Protectorat français, en 1912,
entrainant de profondes modifications dans leur organisations. Deux pétitions
adressées au Grand Vizir (premier ministre du Sultan), l’une par les habitants
de Rabat, le 14 janvier 1914
, et
l’autre, en septembre 1918, par les notables de Marrakech
,
déplorent que les mosquées des deux médinas soient mal entretenues. La lettre
adressée par trente-trois notables de Rabat au Grand Vizir le 14 janvier 1914
est particulièrement éclairante. Les pétitionnaires soulignent « l’état
déplorable où se trouvent actuellement certains édifices religieux de (la)
ville qui menacent ruine. Les mosquées sont, depuis quelques temps, en état de
délabrement, des réparations y sont nécessaires et notamment aux toits de la
grande mosquée que certains nadirs avaient projetés de faire réparer sans
jamais donner suite à ce projet »
. Ils
dénoncent le « mauvais fonctionnement des services » et la mauvaise
répartition des revenus habous. « Les revenus des Habous se sont encore
accrus avec la location de maisons, la suppression de postes de professeur dans
les mosquées et la faible dotation aux nécessiteux (…) (pourtant) Nous avons vu
des mosquées dénuées de nattes, d’autres en renferment quelques-unes. La
propreté y fait extrêmement défaut et les fonctionnaires sont devenus
négligents. La cause est due à l’imprudence des nadirs peu avisés qui se
bornent à amasser sans rien donner comme si les revenus des Habous étaient des
impôts. Or, les Habous n’en sont pas. C’est une œuvre de bienfaisance et d’assistance
publique »
. Ces virulentes critiques
poussent les autorités, toujours à l’écoute de la bourgeoisie marocaine, à
réorganiser les Habous. Ils vont être codirigés par les Français et certaines
de leurs attributions seront données à deux organismes nouvellement créés, la
municipalité et le Service des antiquités, beaux-arts et monument historiques.
II) La réorganisation des Habous et les bouleversements qui en
résultent
Le 30 mars 1912 est
signé le traité de Fès entre le sultan Abd-al-Hafid et Regnault,
ministre de France à Tanger. Cet accord, qui place le Maroc sous tutelle
française et définit le Protectorat, précise : « ce régime sauvegardera la
situation religieuse, le respect et le prestige traditionnel du Sultan,
l’exercice de la religion musulmane et des institutions religieuses, notamment
celle des Habous ».
Cependant, si l’instauration du Protectorat français n’entraîne pas la disparition
des Habous, ces derniers sont administrativement réorganisés même s’ils sont
maintenus, en partie, dans leur cadre traditionnel. L’idée de conservation des
structures administratives marocaines est en effet à la base de la
politique du premier résident général, Louis-Hubert Lyautey (1854-1934). Cette
« politique indigène » concerne essentiellement la protection des
mœurs et coutumes marocaines et l’intégrité du pouvoir spirituel du Sultan.
L’autre notion phare de cet accord, non contradictoire avec celle précédemment
évoquée, est la modernisation économique et administrative de l’Empire
chérifien. C’est donc dans cette scrupuleuse optique qu’Hubert Lyautey tend à
diriger le Maroc, dès sa nomination le 27 avril 1912.
Ainsi le service des Habous est
toujours composé d’un personnel exclusivement marocain cependant ce dernier
passe sous le contrôle discret de quelques Français et notamment de Joseph
Luccioni, entre 1919 et
1956. Ces modifications répondent à des objectifs précis. Elles mettent un
terme définitif à la dilapidation du patrimoine habous, observation qui avait
été faite lors de l’inventaire des biens habous ordonné par la Résidence et
effectué entre 1912 et 1915. Lors de ce recensement, il a été constaté que
de nombreux terrains et immeubles appartenant à la communauté musulmane
n’existaient plus sur les registres des nadirs. De plus, beaucoup de biens
immobiliers (commerces, bains, fondouks, moulins, habitations) et des terrains
agricoles et urbains ne rapportaient pas assez d’argent malgré leur valeur. Les
nadirs, par négligence ou par consentement, avaient donc permis le développement
de nombreuses malversations. « Détournement, dissimulation de recettes,
exagération des dépenses, destruction de titres et d’archives, tous les moyens
leur étaient bons. Certains même agissant de connivence avec les locataires,
les cadis et les représentants locaux du maghzen, se sont approprié une partie
des biens confiés à leur garde ; ils en ont vendu d’autres ou ont consenti
des baux à long terme incompatibles avec la loi coranique ou même la vente de
clé ». En effet, les locataires ne payaient plus la
guelsa ou la gza ou s’insurgeaient contre le prix de ce bail.
D’autres avaient sous-loué leurs commerces ou habitations afin de percevoir
plus d’argent. Enfin, le Maghzen, sous
le règne de Moulay Abdel Aziz (1894-1908) et de Moulay Hafid (1908-1912), avait
aussi spolié des terres et immeubles habous pour son propre compte. Ainsi depuis plus de vingt ans, les revenus
des Habous, n’étant pas assez important, ne permettaient plus l’entretien des bâtiments
cultuels. Afin de renflouer les caisses de
la communauté, la Résidence a effectué de grandes transformations
administratives. La première mesure est la création, au sein du Maghzen, de la
Direction générale des Habous par le dahir du 30 octobre 1912 qui est érigée en
vizirat par promulgation du décret
chérifien du 4 août 1915. Cet organisme a pour but de surveiller et de
contrôler la gestion et la comptabilité des biens habous privés, publics ainsi
que ceux des édifices du culte. Le
dahir du 27 février 1914, quand à lui, réglemente le système de locations des
biens habous. Les commerces, les
fondouks, les hammans ainsi que les habitations sont loués aux enchères
publiques pour une période de deux ans. Les terrains agricoles
et urbains non bâtis, servant uniquement à des travaux de culture, sont loués
aux enchères publiques pour un an seulement.
Ces
différents changements sont accompagnés de bouleversement dans la pratique de
la gestion des biens publics habous. L’entretien des égouts, des fontaines, des
abreuvoirs et l’approvisionnement en eau des villes passent sous la direction
de la municipalité
. Dès
1913, la municipalité de Rabat effectue le curage des différentes rues de la
médina. Elle commence par les grandes artères comme la rue Souïka, el Gza et
celle des Consuls puis par les ruelles adjacentes à ces voies principales. Les
travaux durent jusqu’en 1920. Certaines fontaines comme celles de la rue Sidi
Fatah ont été refaites intégralement. Pour cela la municipalité a fait appel au
Service des antiquités, beaux-arts et monument historiques créé le 26 novembre
1912 dont le but est de préserver et de classer des monuments ayant un
caractère historique et esthétique très prononcé au sein des médinas
marocaines. Il a aussi pour tâche de relever l’artisanat artistique qui connait
un léger déclin depuis le début du XX° siècle
dû à l’affluence de l’importation de produits manufacturés européens
et asiatiques.
Ainsi dès 1913,
la priorité est de répertorier les différents types d’artisans. Lyautey nomme
un agent du Secrétariat général pour effectuer une mission d’étude à
Rabat-Salé, Meknès et Fès, en vue d’établir la situation générale des
corporations au Maroc et de proposer des mesures propres à leur relève.
Les premiers métiers à être rénovés sont ceux des décorateurs d’architecture
tels que les menuisiers, les créateurs de zelliges, les stucateurs et les
peintres sur bois. Les pratiques artisanales traditionnelles sont
maintenues en activité grâce à la création d’ateliers d’enseignement
professionnel identiques à ceux élaborés en Algérie. Pour mettre en place ces
mesures, Lyautey
à fait appel en 1912 à Prosper Ricard
,
inspecteur de l’enseignement artistique et industriel dans les
écoles indigènes algériennes entre 1909 et 1912.
Le Service des antiquités, beaux-arts et
monuments historiques a donc dirigé des artisans marocains encore en activité
afin de remettre en état le décor en zelliges des fontaines publiques de Rabat
notamment celles des rues Sidi Fatha, des Consuls et d’El Gza.
En
ce qui concerne les mosquées et les zaouïat, certaines ont été classés comme monuments
historiques
.
Les nadirs sont toujours chargés de les
entretenir cependant si des réparations doivent être réalisées sur les façades
extérieures, ils sont obligés de suivre les instructions des architectes du
Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques. En effet, les
façades doivent être rénovées dans le style originel de l’édifice avec des
matériaux locaux (briques, pisé et mortier). Comme les médersas de Fès,
Meknès, Marrakech et Salé ont été elles-aussi inventoriées au patrimoine bâti
,
leur réparation dépend à la fois du Service des antiquités, beaux-arts et
monuments historiques et des Habous. Les deux organismes paient chacun une
partie des travaux. Les premières rénovations commencent en 1917 à la médersa
Al Attarine à Fès. Le 7 mars 1917, l’architecte Marcel Rougemont
est chargé de s’occuper et de surveiller des
restaurations
. Fin avril 1917,
les premiers devis étant effectués,
les auvents des oratoires et les toits des
patios sont refaits. Entre 1917 et 1918, les murs latéraux de la cour de la
médersa Al Attarine sont dépouillés de ses plâtres ouvragés, zelliges et bois
sculptés. Les murs sont démolis au niveau supérieur ainsi que les piliers qui
scandent les façades. Ils sont reconstruits en brique puis recouverts de chaux
grasse. À partir de là, les ouvriers marocains entament la réfection des décors
. Les
travaux de restauration de l’Al Attarine se terminent en 1923.
Le Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques,
dirigé par Maurice Tranchant de Lunel (1869-1932)
,
a aussi promulgué un dahir de protection sur
tous les remparts et les portes principales de l’ensemble des médinas. Les murailles
des villes forment des enclos qui marquent la transition entre ce qui est la
ville et ce qui ne l’est pas. L’enceinte urbaine
matérialise les limites du territoire de la
cité
. Les
remparts des villes impériales sont dans l’ensemble en assez bon état même les
plus anciens comme ceux de Marrakech. Le dahir du 7 août 1914 les désigne,
comme monument historique,
ce qui
comprend la muraille de la médina et celle entourant l’ensemble des jardins
impériaux et le palais du Sultan. Pour Fès, les lois du 25 et du 31 août 1914
intègrent les différentes enceintes des deux parties de la ville à l’inventaire
général du patrimoine bâti. Le dahir du 10 octobre 1914 fait de même pour les
remparts de la médina de Salé. Le 18 octobre 1914, la législation impose le
classement de l’enceinte de Meknès, comprenant les quatre grandes portes
d’entrée, Bab Mansour El Alj, Bab El Kechla, Bab El Khémis et Bab Er Rih, les
murs, les fortifications, les bastions, les tours constituant les remparts de
la ville, ainsi que les enceintes, les bâtiments et les jardins groupés sous le
nom de Dar El Beïda. La protection législative des enceintes et des portes
neutralise toutes tentatives de transformations architecturales sans
autorisation au préalable du Service des antiquités, beaux-arts et monuments
historiques. Le nadir n’a plus son mot à dire concernant l’entretien des
remparts et des portes d’entrées des villes qui commencent à être restaurées
dès 1915. Les agents du Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques
travaillent simultanément dans les quatre villes impériales. La durée des
travaux est étalée sur plus de cinq ans car d’autres chantiers sont ouverts en
même temps. À Meknès, toutes les portes sont remises en état. Bab Khémis
(1678-1679), située au sud-ouest de la médina, est assez abimée. Certains
merlons la couronnant ont disparu,
la
végétation a endommagé la brique et la décoration a aussi souffert du temps et
de l’érosion. Deux plaques de zelliges situées au bas du second encadrement et
les mosaïques du troisième encadrement de la porte sont fortement dégradées. La
frise d’entrelacs d’épigraphie coufique et d’arabesques comporte des trous.
Enfin, les deux bastions collatéraux sont quasiment en ruine. La restauration
de la porte s’effectue en plusieurs étapes. Dans un premier temps, il s’agit de
la consolider. Toute son ornementation est ensuite refaite selon les techniques
anciennes. La décoration sculptée est exécutée sur une ossature formée de
petites briques de trois centimètres de hauteur. Sur cette base, sont
appliquées des bandes de terre cuite aux carreaux carrés ou rectangulaires en
monochromes émaillés ou bien une mosaïque de zelliges
. Les
bastions sont remontés en brique.
Durant tout
la période du protectorat, d’autres édifices habous sont inventoriés comme
monuments historiques. Le 31 décembre 1923, sont classés dans la médina de
Meknès, les médersas Bou Inania et El Filala, le fondouk El Hama dit
« Fondouk du henné » près du grand souk, cinq seqqaïas et six msids.
Les deux palais au Bou Jeloud, Dar
Adiyel et Dar Batha sont aussi
inventoriés. Le 8 juin 1924, c’est au tour de la mosquée dénommée « Jamâa
el Azhar », à Fès Jdid. Le dahir du 28 juin 1924 classe aussi le minaret
de la mosquée dite « Jamâa Mouline » à Rabat. À partir des années
1920, un nombre important de fondouks sont à leur tour désignés monuments
historiques. C’est également le cas des fontaines puis des msids. Ces écoles ne
sont pas des architectures somptueusement décorées comme les médersas ou les
fondouks. Toutefois, elles sont protégées en tant que témoin d’un aspect de
l’enseignement musulman. Avec l’instauration du vizirat
des Habous, les nadirs doivent donc s’accorder avec la municipalité et le
Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques pour pouvoir
effectuer des travaux dans les édifices du culte, sur les remparts et leurs
portes monumentales
mais aussi les
latrines, égouts et fontaines publiques. Cet état est encore plus accentué
lorsque les dahirs de protections artistiques concernant les médinas de Salé,
Meknès, Fès et Marrakech sont promulgués entre 1922 et 1923
. Ces
décrets chérifiens ont permis une conservation quasiment intégrale des villes
anciennes afin de répondre à des objectifs politiques, esthétiques mais aussi
touristiques.
Les médinas se sont peu à
peu transformées en attraction pour les visiteurs étrangers. Certains monuments
habous, comme les médersas, qui n’étaient visibles que pour quelques Européens
privilégiés, sont ouvertes au grand public.
En 1936, divers arrêtés viziriels fixent les horaires d’ouvertures des
médersas Sahrij, Bou Inania, Al Attarine, Cherratine et Mesbahia de Fès.
La désacralisation de ces édifices habous continue dans les années 1950 lorsque
ceux-ci sont fermés aux étudiants. Les médersas ne sont alors plus que l’image
d’une période historique et d’un savoir artistique datant des Mérinides.
Les Habous,
bien que critiqués au début du XXème siècle pour le manque de
sérieux dans l’entretien des édifices publics, connaissent de très importants
bouleversements après l’instauration du Protectorat. La plupart des biens
publics et les Habous eux-mêmes passent alors sous la tutelle française. Même
si certains monuments restent, après 1912, sous la surveillance des Habous,
l’ingérence française est quand même omniprésente de façon directe ou indirecte
par le biais des contrôles ou de la prise en charge de travaux. Cette présence
française a même détourné certains édifices habous, comme les médersas, de leur
affectation première. La modification administrative des Habous les a donc réduits à ne pouvoir contrôler et
gérer uniquement que les mosquées et les zaouïat. Cependant la réorganisation
de la comptabilité leur a permis de subventionner les entretiens des édifices
cultuels mais aussi l’enseignement religieux. Les Habous n’ont pas été remis en cause dans le sens où
ils ont continué d’être un organisme toujours actif durant toute la période
coloniale.
Après l’indépendance, la
situation des Habous change. Ces derniers deviennent de plus en
plus importants au sein du gouvernement
marocain en acquérant leur souveraineté. Le vizirat des Habous est ainsi
devenu, e
n 1955, le Ministère des Habous,
avant de prendre définitivement, en 1963, le nom de Ministère des Habous et des
Affaires Islamiques. Son
objectif est la restructuration religieuse du pays en montrant que l’Islam
malékite est une religion tolérante et respectueuse d’autrui. Son champ d’action se borne à la gestion des
biens cultuels, à l’enseignement religieux et à la propagation de la religion
sur le plan politique, social et économique. Cette expansion des Habous n’est
cependant pas aussi étendue que durant la période ante-coloniale. Certaines
pratiques instituées sous le protectorat persistent encore. Les municipalités s’occupent
toujours des drainages d’égouts, de l’approvisionnement en eau des villes et
des réfections des fontaines tandis que le Ministère de
la Culture a repris le
flambeau du Service des monuments historiques.
Cet article est la version écrite de: -« Vers
un bouleversement des traditions marocaines ? L’entretien et la conservation
des édifices habous avant et durant le protectorat. », L'urbanisme
et l'architecture en situation coloniale considérés au miroir du processus de
développement du territoire – II - : le formes territoriales, urbaines et
architecturales en Afrique du Nord aux XIX-XXIe siècles. Permanences ou
ruptures ?- Maghreb, Congrès
mondial des études sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord du 19 au 24
juillet 2010 à Barcelone
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1989, Le décor sur bois dans
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dahir du 27 septembre 1935 », Bulletin Officiel du Maroc, n°1228, 8
mai 1936, p. 554.