savoirs et des savoir-faire patrimoniaux et artistiques entre le Maroc et les pays méditerranéens


Dans ma thèse, intitulée Le regard français sur le patrimoine marocain : conservation, restauration et mise en valeur de l’architecture et de l’urbanisme des quatre villes impériales sous le protectorat (1912-1956), j’ai démontré comment la présence française avait instauré la notion de patrimonialisation au Maroc en créant des méthodes permettant la conservation de l’architecture et de l’urbanisme
arabo-musulmans des quatre villes impériales marocaines. Dans cette thèse, j’ai aussi abordé la notion d’échange de savoirs et de savoir-faire patrimoniaux entre la France et le Maroc mais aussi entre les autres colonies françaises de Méditerranée. En effet, les projets mis en place pour la préservation des médinas sont basés sur les lois patrimoniales françaises et tunisiennes créant les nouvelles législations patrimoniales marocaines. Ces dernières, sont, en retour, à l’initiative du renouvellement de la
législation française de 1919 et 1924 mais aussi de celles des colonies françaises en Afrique du Nord et au Proche-Orient. Le Maroc tisse aussi des liens avec le Portugal et l’Espagne lorsqu’il s’agit de restaurer des édifices arabo-musulmans et portugais. Ces rapprochements permettent l’instauration de techniques de restauration communes entre les trois pays ainsi qu’un essor des recherches historiques et artistiques concernant les édifices de ces périodes.
Avec la patrimonialisation du Maroc, se met aussi en place la relève de l’artisanat d’art qui est utilisé pour la restauration des arts décoratifs des monuments historiques marocains mais, il est aussi une des composantes de l’économie marocaine. Des techniques et méthodes, à la fois modernes et ancestrales, permettent donc la relance de l’artisanat d’art marocain. Ces dernières vont être adaptées en Algérie, en Tunisie et dans les mandats français du Proche-Orient dès les années 1930.
Mon objectif de recherche s’attache donc à démontrer que la patrimonialisation du Maroc, engendrée par le Protectorat français, a permis la sauvegarde d’édifices arabo-musulmans, antiques et portugais ainsi que l’échange d’informations sur les méthodes de conservation et de restauration de l’architecture et de l’artisanat d’art avec le Portugal et l’Espagne, l’Algérie, la Tunisie, la Syrie et le Liban. Ces relations ont favorisé un renouvèlement des études et des moyens de sauvegarde du patrimoine aussi bien au Maroc que dans les autres pays méditerranéens.

Enfin le travail des peintres français au Maroc s’intègre, quant à lui, dans un mouvement pictural dont le but est associé à celui des lobbies coloniaux. Ils sont à l'origine de la création de mouvements artistiques marocains tendant vers le renouvellement et la modernité des motifs picturaux.







mercredi 25 février 2015

Biographie de Maurice Tranchant de Lunel

EDMOND VICTOR MAURICE TRANCHANT DE LUNEL 

(La Ferté Saint Jouarre, 25 novembre 1869-La Seyne sur Mer, 29 novembre 1932)


Né en 1869, à la Ferté Saint Jouarre, Maurice Victor Tranchant est le fils d’un marchand de meule de moulins. Adolescent, il rentre au collège de Eaton, puis à Oxford. En février 1888, il est admis à l’École des beaux-arts à Paris, en section d’architecture. Il devient l’élève d’Eugène Georges Debrie. En 1896, il rentre à l’Académie Jullian pour suivre des cours d’aquarelle.

Ses premières œuvres picturales datent de son voyage qu’il a effectué en Mésopotamie, au printemps 1898. Il visite les villes bordant le Tigre et l’Euphrate notamment Bagdad. De cette cité, il a retenu les petits bateaux ronds au bord du fleuve. Les scènes fluviales semblent l’attirer car il reprend le thème des bateliers dans son aquarelle de Bassorah. Ces deux œuvres donnent les caractéristiques essentielles de sa manière de peindre.  Il n’utilise qu’une palette de couleur réduite traitée en camaïeu. Les personnages sont à peine ébauchés mais reconnaissables par leurs costumes. Ses compositions comportent toujours une architecture. À peine revenu du Moyen Orient, Maurice Tranchant de Lunel s’embarque pour l’Afrique Occidentale Française, à l’automne 1898. Durant un an, il voyage au Sénégal et en Guinée. Les œuvres, qu’il rapporte de cette expédition, servent pour la décoration du pavillon du Sénégal-Soudan à la section coloniale qui est installée au Trocadéro à Paris de 1900, section qui complète l’Exposition Universelle.

Les premières aquarelles de l’artiste sont signées « Maurice Tranchant », celles datées des  années 1900 mentionnent « Tranchant de Lunel ». L’artiste a changé son patronyme en lui rajoutant la particule « de Lunel », qui est le nom de sa femme, afin de se différencier d’un autre artiste nommé Maurice Tranchant.

Entre 1900 et 1909, il réside à Paris au Manoir de Richelieu à Rueil. Passionné de bateau (yacht notamment), il devient membre du Club nautique de Nice de 1902 à 1906[1].  C’est donc  à bord de son yacht personnel, Le Saint-Alban qu’il fait le tour de la Méditerranée. En 1902, il est à Fès, au Maroc. En 1908, il séjourne encore une fois dans l’empire Chérifien: il se rend à Tanger, à Fès et dans la Chaouïa. Cette même année, il est invité par le Sultan Abd el Aziz à rester auprès de lui à Rabat. Il participe aussi au premier salon de Tanger.

Par une lettre du 26 octobre 1909, il demande une mission gratuite au ministère de l’Instruction publique et des beaux-arts afin de faire des recherches sur l’histoire de l’art aux Indes anglaises, en Birmanie, au Siam, en Indochine et en Chine. En novembre 1909, le ministère lui accorde cette mission. De cette longue escapade en terre asiatique, l’artiste rapporte des aquarelles. Comme au Moyen Orient, l’eau est son fil d’Ariane. Dans la Baie d’Along, il représente pour la première fois, un site vierge de marque humaine. Seule la beauté de la nature, déclinée en bleu, est présente.  Les aquarelles qu’il rapporte de ces contrées ainsi que celles du Moyen-Orient sont exposées à la Galerie Georges Petit à Paris entre avril et septembre 1912[2] ainsi que ces premières toiles du Maroc[3].

En 1910, Tranchant de Lunel décide de s’installer à Nice, à la Cisterna, 36 Boulevard Mont Boron qui devient sa résidence principale jusqu’en 1914.

En janvier 1911, il est de nouveau au Maroc, à Fès, bien que son cruiser (petit yacht), Le-Kitsoumé, soit inscrit au meeting de Monaco, en avril 1911[4]. En effet après la signature du protectorat, le 31 mars 1912, il voit la capitale chérifienne en révolte : les mellahs de Fès sont détruits par des hordes d’insurgés, car les Juifs accueillaient, depuis la fin du XIXème siècle, les Français. Afin de s’occuper des Israélites, une Commission officielle est organisée sur ordre du Sultan. Maurice Tranchant de Lunel y participe au côté Si Mohamed Tasi (ministre des travaux publics), M. Elmaleh (directeur de l’Alliance israélite universelle de Fès), M. Mercier (Consul de France), le docteur Weisgerber et d’autres médecins[5]. Durant cette période, Maurice Tranchant de Lunel rencontre, le 21 mai 1912, le Général Lyautey, tout juste investi de sa charge de Commissaire Résident général du Maroc. Lors de cette entrevue à Fès, le général nomme l’artiste comme directeur du nouveau Service des beaux-arts, antiquités et monuments historiques, dont le siège se situe rue Sidi Fatah au cœur de la médina de Rabat. Il laisse ce poste vacant de 1916 à 1917 afin de pouvoir visiter l’Alhambra et rencontrer le conservateur du site afin de prendre connaissance des nouvelles techniques de restaurations susceptibles d’être appliquées au Maroc. Son adjoint, Joseph de la Nézière le remplace donc durant son absence.

De 1914 à 1920, en tant que directeur du Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques, Maurice Tranchant de Lunel fait restaurer les médersas de Fès, les enceintes et les portes monumentales des médinas marocaines. Il s’occupe plus particulièrement de la réfection du jardin des Oudaïas en lui redonnant une seconde vie sous l’aspect d’un jardin andalou. Nommé par Lyautey, dès 1913, comme architecte de la résidence générale à Rabat, ses plans sont vites abandonnés au profit de ceux d’Albert Laprade. D’ailleurs, les deux hommes ne s’apprécient guère. Il faut croire que le caractère de l’artiste ne plait pas à tous : les rapports sont tendus avec Joseph de la Nézière, Henri Prost et Albert Laprade. Seul Lyautey apprécie Maurice Tranchant, car leurs relations sont plus intimes.

Entre 1917 et 1922, l’artiste participe aux expositions de peintures marocaines organisées à Casablanca et à Paris. C’est durant ses surveillances des médinas marocaines qu’il effectue des aquarelles de belles factures. De Casablanca, il représente un coin de la médina, dont le caractère blanc est visible dans le traitement chromatique, à l’arrière plan, des maisons marocaines qui contrastent avec les tonalités des ombres bleuâtres de la  porte monumentale, au premier et second plan. Les costumes des passants rappellent cette dualité de couleur. L’aquarelle est répartie en larges touches laissant parfois la peinture former elle-même les contours des sujets. C’est aussi dans des tonalités sombres qu’est représenté l’intérieur d’un hammam à Salé. Comme dans l’aquarelle de Casablanca, les architectures sont mieux détaillées que les personnages : les baigneurs sont reconnaissables par leurs burnous de couleurs vives. Cette volonté de traiter l’architecture plus en détails provient certainement des clichés photographiques qu’il prend pour modèle afin de peindre. Cette analogie est notamment visible dans deux aquarelles : le patio de la medersa Es Sahrij et la place Nejjarine à Fès. Dans ces deux œuvres, de nombreux personnages ont été rajoutés pour meubler les espaces vides et donner de la vie. Ce dynamisme est encore plus accentué dans l’aquarelle de la cour de la médersa qui est présentée un peu d’oblique afin de rendre une meilleure profondeur à l’image.

Entre le 25 décembre1918 et le 1 avril 1919, Maurice Tranchant de Lunel part, avec le docteur Hérisson et la Harka du Pacha el Hadj Thami, pour se rendre dans la région du commandement Glaoua, au Sud de l’Atlas[6]. De cette expédition, il rapporte de nombreux dessins et aquarelles qu’il fait paraitre dans un article de la revue France-Maroc, le 15 septembre 1919. Comme tant d’autres peintres du Maroc, il collabore en tant qu’illustrateur et rédacteur d’articles pour la revue France-Maroc dont le premier numéro paraît en 1916.

En 1921, le général Gouraud réclame sa présence auprès de lui en Syrie afin de mettre sur pied une foire d’échantillons à Beyrouth. Durant son séjour au Proche Orient, l’aquarelliste en profite pour croquer quelques paysages et villes aux couleurs et à la lumière denses. De retour au Maroc en juin 1921, il permet aux architectes de la future Mosquée de Paris de visiter Fès afin de se familiariser avec l’architecture la mosquée Fès Jdid. En novembre 1921, les souverains Belges visitent le Maroc. Tranchant de Lunel leur fait visiter le palais Bou Jeloud[7].

Pourtant, dès 1920, l’artiste est inquiété par la justice : on lui reproche d’incitation à la débauche sur des mineurs et d’importer de l’opium au Maroc. Ces problèmes judiciaires obligent la Résidence à limoger Tranchant de Lunel le 1 avril 1923, tandis que paraît son livre, Maroc, au pays du paradoxe, dont le but est de justifier l’action de l’artiste au sein du Service des beaux-arts du Maroc.
De retour en France, il installe son atelier de peinture sur une péniche, Ma Galère, en bord de Seine, tout en habitant à Notre Dame des pins à Tamaris, juste à côté de la Seyne sur Mer, dans une villa (résidence familiale). Mais, en 1925, les tracas judiciaires le rattrapent : il est poursuivi en correctionnelle pour tenue de fumerie d’opium dans sa villa et de détention illégale de stupéfiants[8]. Malgré ces soucis, Maurice Tranchant de Lunel continue à vivre normalement, il donne même, assez souvent, de belles réceptions à bord de sa péniche parisienne où tout le beau monde est invité comme en juillet 1930[9]. Le peintre participe aussi à de nombreuses manifestations comme à l’exposition des Arts décoratifs de 1925 où il y réalise, en tant qu’architecte, le pavillon du Maroc au côté de Fournez[10]. Ne supportant plus le climat humide de la capitale, il quitte définitivement Paris pour Tamaris. Jean Cocteau lui rend visite en 1932 ainsi que le Maréchal Lyautey,  entre le 4 et le 21 avril 1932. Il y décède le 29 novembre en succombant à une maladie pulmonaire[11].



[8] « Découverte d’une fumerie d’opium : l’affaire Tranchant de Lunel », Les Annales coloniales, 3 mars 1925, p.1
La police a perquisitionné la villa de Tranchant de Lunel, à Tamaris, et elle a découvert un important stock de matériel pouvant servir à plusieurs opiomanes : sept pipes, des pots de drogue, des lampes, des aiguilles et trois kilos d’opium.
[9] Valfleury, « Dans le monde », Le Figaro, 8 juillet 1930, p. 2.
[10] « L’Exposition des Arts décoratifs », Art et décoration, mai 1925, p.4. 
[11] Valfleury, « Deuils », Le Figaro, 3 décembre 1932, p.2




[2] F.M,  « Exposition Tranchant de Lunel », L’Art et les Artistes, avril 1912, p. 235
[3] Le Masque de Fer, « Paysages du Maroc », Le Figaro, 12 juin 1912, p.1
[4] « Le huitième meeting de Monaco », Navigazette, 9 mars 1911, p. 7-8
[5] Alliance israélite universelle, Les évènements de Fès, Paris, 1912, p.5
[6] www.ouarzazate-1928-1956.com/les-glaoua/janvier-1919-la-premiere-colonne-francaise.html
[7] « Les souverains Belges au  Maroc », France-Maroc,  novembre 1921, p. 222.




[1]www.flagspot.net/flags